Florence Foster Jenkins : la Soprano qui chantait faux

18 septembre 2015

Hier sortait « Marguerite » au cinéma. Je ne l’ai pas encore vu mais l’histoire dont est inspiré le film m’a beaucoup plu et j’avais envie de vous la raconter. Un peu comme le destin de Vivian Maier, celui de Florence Foster Jenkins est fascinant, et dramatique évidemment !

Florence Foster Jenkins est née en 1868 à Wilkes-Barre en Pennsylvanie de parents très riches. Elle étudie la musique très tôt et prend des cours de piano. C’est presque une enfant prodige : « Little Miss Foster » donne son premier récital à 8 ans ! A 18 ans, elle souhaite partir étudier en Europe mais son père refuse. Florence est une forte tête, elle s’enfuit donc à Philadelphie avec un médecin, Frank Thornton Jenkins, qu’elle épouse. Un mariage malheureux qui ne rapportera à Florence Foster Jenkins que de la frustration (il veut la protéger en l’empêchant de chanter) et la syphilis ! Elle devra d’ailleurs prendre du mercure toute sa vie pour « soigner » sa syphilis. Une hypothèse voudrait que le mercure ait affecté son nerf auditif, et c’est pour ça qu’elle chantait aussi faux !

A Philadelphie, Florence est enseignante et pianiste. Mais un premier drame survint dans sa vie : elle se blesse au bras et doit renoncer au piano. Après son divorce en 1902, son riche père meurt peu de temps après. C’est une véritable aubaine pour Florence Foster Jenkins qui hérite et devient richissime ! Elle peut enfin se consacrer à sa passion et devenir cantatrice. Elle part vivre à New York avec sa mère et s’implique énormément dans la vie musicale et culturelle ; elle fonde notamment le Club Verdi. Florence prend des cours de chant et commence à donner des récitals, dès 1912. Evidemment, personne n’a le bon goût de lui dire qu’elle chante atrocement mal – elle ne tient pas les notes, chante faux et pas en rythme – il faut dire qu’elle paye particulièrement bien.

Florence Foster Jenkins devient une « socialite » américaine dans toute sa splendeur : on la voit partout, ses tenus plus qu’extravagantes font jaser et elle apparaît régulièrement dans les colonnes « people » de l’époque. Elle se met également en scène dans des tableaux vivants, capturés par les plus grands photographes de l’époque. Elle joue les héroïnes antiques… Les critiques raffolent d’elle, il est très bien vu à l’époque d’aller écouter la Soprano, et de se moquer d’elle. Mais Florence est heureuse, elle est saluée par tous et vit son rêve.

Florence Foster Jenkins Portrait

A 60 ans, sa mère décède. C’est le jackpot pour Florence Foster Jenkins ! Les ressources supplémentaires lui donnent des ailes – littéralement d’ailleurs ! – et elle enregistre son premier disque. Elle n’a besoin que d’une seule prise pour s’estimer très satisfaite. Apparemment, on ne peut s’empêcher de penser à une blague en écoutant ses disques : le pianiste essaye de la guider, il joue donc comme s’il s’agissait de marches militaires, Foster Jenkins n’a aucun souffle, les paroles sont incompréhensibles et son interprétation de la Flûte Enchantée ressemble plus à d’insupportables petits cris très aiguës qu’à autre chose.

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Elle chante de grands airs d’opéra, mais aussi des compositions que ses pianistes et elle ont écrites. Sur scène, elle imagine et crée elle-même ses costumes (dont cette mythique paire d’ailes). Elle a un vrai sens du spectacle et se moque des rires qui émanent du public : pour elle, ce sont des jaloux. Il faut dire qu’elle a tout lieu de croire qu’elle est douée, son public l’adore et en redemande. Les gens la pressent pour qu’elle donne plus de récitals. Florence Foster Jenkins se produit uniquement au Ritz-Carlton, et supervise la distribution des tickets d’entrée.

En 1944, à 76 ans, Florence Foster Jenkins cède aux supplications de son public et décide de louer le très prestigieux Carnegie Hall. Elle chante devant une salle comble mais les critiques sont sévères. Le New York Post publie : « elle peut tout chanter, sauf les notes ». C’est terrible pour elle, et deux jours après le concert, alors qu’elle achète des partitions, elle fait une crise cardiaque. Elle n’y survivra pas et décède un mois plus tard.

Florence Foster Jenkins est ainsi entrée dans la légende pour sa tristement célèbre notoriété. Etait-elle si inconsciente de ce que le public pensait d’elle ? Sa grande devise sème le doute : « Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n’ai pas chanté »…

Florence Foster Jenkins a beaucoup inspiré les artistes : le film de Xavier Giannoli adapte et transpose l’histoire de la riche soprano à Paris, et la chanteuse est jouée par Catherine Frot. Stephen Frears tourne quant à lui une vraie biographie avec Meryl Streep dans le rôle titre. Il existe aussi plusieurs pièces de théâtre. On ne peut s’empêcher de penser que le plus vibrant hommage rendu à Florence Foster Jenkins est celui d’Hergéla Castafiore est sans doute très inspirée par la Soprano, une très riche chanteuse couverte de diamant, extravagante et qui chante atrocement faux !

12 Comments

  1. Oh c’est génial comme histoire, je ne connaissais pas du tout ! C’est triste pour elle quand même, ce manque de lucidité… A moins que finalement, ça ne soit le secret du bonheur : se moquer de ce que pensent les autres, et faire ce qu’on aime ;)

  2. J’ai entendu parler d’elle dans une critique du film Marguerite et du coup j’ai été voir plus en détails sa vie ! Une vie fascinante comme tu le dis.
    Chanter faux à un certain point, ça deviendrait presque un talent :-) (la fille qui chante atrocement faux et qui essaye de se convaincre toute seule !).
    Et le film de Xavier Giannoli me tente bien, surtout qu’il y a Catherine Frot !

  3. Une amie m’en a parlé hier et j’ai eu tout de suite envie d’aller voir ce film avec Catherine Frot que j’aime beaucoup, mais celui avec Meryl Streep devrait être sympa aussi !

    Christine

  4. tu as tellement bien écris ! j’ai adoré lire cet article.
    C’est en soi une histoire inspirante parce que malgré son handicap elle a quelque part réalisé son rêve, finalement c’est ce qui compte avant de quitter monde , de réaliser ses rêves et d’en être heureux :)

  5. Je me demande si c’est pas ça la vie. Faire ce qu’on veut (et gagner sa vie car elle a rempli des salles) et au final vivre grâce à des cons (payer pour aller se moquer désolé je comprends pas la démarche) le rêve de sa vie. Profitez être soi même et ne jamais écouter les critiques !!!
    Venant de moi qui est du mal dès que j’entends une fausse note… Je me dis que ce film va forcément me bouleverser. Merci pour l’explication de l’histoire vraie

  6. Merci pour ces explications. Nous sommes allés voir « Marguerite » hier soir, film magnifique et bouleversant : on rit au début mais plus du tout à la fin, car le film retrace de façon très juste et subtile la façon dont la « cantatrice » est enfermée dans les mensonges de son entourage, qui par politesse, qui par cynisme, qui par amour…
    Avis aux mélomanes, il y a aussi une magnifique bande son : on peut entendre autre chose que le massacre de la Reine de la Nuit !

  7. Le film est magnifique
    La tristesse y est joyeuse et les rires y sont tristes.
    Il faut le voir pour comprendre ils nous ramene a nous meme.
    Du cote des rieurs ou de la chanteuse.
    Il nous pensif sans pouvoir choisir son camp.
    A savourer au dela des notes… ou des sons.

  8. La Castafiore un hommage à Florence Foster-Jenkins? Je suis plus que dubitatif.

    Bianca Castafiore a certes ses petits défauts de Diva, mais c’est précisément une vraie Diva qui chante dans les ganses maisons d’opéra européennes et à la cour royale de Klow, chose impensable si elle ne sait pas chanter. Qu’elle casse les oreilles du capitaine Haddock prouve surtout qu’elle a du volume, du « mordant » (dans le jargon lyrique). Le rôle de Marguerite dans « Faust » n’est généralement pas distribué à la légère et Hergé le savait bien. Enfin, dans « Les bijoux de la Castafiore », notre chère Bianca est traitée avec égards par la presse. C’est une « people », sans doute, mais surtout une artiste reconnue et à la réputation internationale.
    Bianca Castafiore est une authentique cantatrice. Ce n’est pas Florence Foster-Jenkins.

    • Bonjour Serge, merci beaucoup pour cette fine analyse ! Je n’ai en revanche pas inventé le parallèle entre la Castafiore et Florence Foster-Jenkins, c’est une hypothèse que certains partagent. Comme il s’agit de toute façon d’une bande-dessinée et qu’Hergé n’est plus là pour la défendre, chacun peut imaginer et fantasmer…

  9. Vivre et réaliser son rêve, aller jusqu’au bout de sa passion c’est magnifique. Le film que je viens de regarder est touchant, parfois triste mais captivant, Florence Foster-Jenkins mérite le titre de Diva pour sa grande détermination et son courage, et en fin de compte le bonheur. J’ai adoré le film et Catherine Frot est superbe, et j’aime beaucoup cette actrice.

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